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La liberté du bailleur de fixer le prix de vente de son bien immobilier est-elle restreinte par le droit de préemption du locataire ?

Le droit de préemption fait partie de l’arsenal législatif permettant de protéger le droit au logement, notamment à l’égard des locataires. Ainsi tout bailleur ayant pour projet de vendre un bien immobilier loué doit proposer à la vente le bien au locataire actuel. Dans ce cas, cette offre doit être effectuée dans les mêmes conditions que celles proposées aux autres potentiels acquéreurs.

Mais qu’en est-il lorsque le prix de vente proposé est considéré comme manifestement excessif par rapport à la valeur vénale du bien immobilier ? Une offre avec un prix manifestement excessif peut-elle caractériser une intention frauduleuse d’un bailleur d’évincer le droit de préemption de son locataire ? La Cour d’appel d’Orléans (CA Orléans, ch. des urgences, 7 févr. 2024, n° 23/01186) a récemment eu l’occasion de se prononcer sur l’appréciation de cette potentielle intention frauduleuse.

 

 

Bail commercial droit de préemption

Un prix de vente jugé excessif par les locataires

En l’espèce, des locataires occupent un logement depuis plusieurs années. Ils reçoivent un congé pour vente dudit bien loué accompagné d’une offre de vente d’un montant de 560 000 €.

Face à ce montant, les locataires ont été surpris et ont pris l’initiative de demander d’autres estimations immobilières. Celle présentant le prix estimé le plus élevé ne dépassait pas les 210 000 €. Par conséquent, les locataires estiment que ce prix de vente manifestement excessif les prive de leur droit de préemption.

À noter que ce prix de vente n’a pas été établi au hasard. Ce dernier correspond à l’offre proposée par une société de promotion immobilière. Le projet du potentiel acquéreur est d’acheter ce bien, le démolir et construire un autre bien sur ce terrain.

Le respect du droit de préemption remis en cause

Quelle que soit la justification des bailleurs concernant le montant du prix de vente, l’on peut légitimement se demander si un prix estimé 2,67 fois supérieur au prix du marché ne constitue pas une intention frauduleuse. En effet, la Cour d’appel d’Orléans doit ici se demander si les bailleurs n’ont pas proposé un tel prix dans le seul objectif de décourager les locataires d’acquérir ce bien à ce prix.

En effet, dans cette affaire les locataires ne souhaitent pas acquérir le bien loué à un prix bien supérieur à celui du marché. Mais est-ce vraiment l’intention manifeste des bailleurs ? Est-ce que la promesse unilatérale de vente signée par la société potentiellement acquéreuse confirme-t-elle l’intention des bailleurs de ne pas respecter le droit de préemption de leurs locataires ?

En première instance, le tribunal des contentieux de la protection de Tours a répondu par la positive en annulant le congé pour vente et en constatant la reconduction du bail pour une durée de 3 ans.

Face à ce jugement, les bailleurs ont fait appel. La Cour d’appel d’Orléans va quant à elle opérer une stricte application de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, en rappelant le principe de la libre fixation du prix de vente pour les bailleurs en l’absence de tout faisceau d’indices prouvant une intention frauduleuse.

 

Fixation prix de vente bail commercial

 

Libre fixation du prix de vente bail commercial

La libre fixation du prix de vente par les bailleurs

Dans cet arrêt de la Cour d’appel d’Orléans, le droit sacré au logement se heurte à la liberté contractuelle de vendre un bien immobilier.

Le droit de préemption doit-il encadrer le prix de vente d’un bien loué ?

La Cour d’appel d’Orléans rappelle dans cet arrêt que « le droit de préemption du locataire n’a pas été instauré dans le but de fausser le jeu de la loi de l’offre et de la demande, mais simplement dans l’objectif d’éviter des fraudes entraînant l’éviction du preneur au profit d’autres personnes choisies par le propriétaire et favorisées par ce dernier en lui permettant de vendre dans des conditions similaires à celles dans lesquelles ils auraient pu eux-mêmes acquérir le bien ».

Sur cette appréciation de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, la Cour d’appel d’Orléans infirme le jugement rendu en première instance.

Cette décision confirme ainsi la liberté pour le bailleur de fixer un prix de vente pour son bien immobilier, dans la mesure où la fixation de ce prix ne se fait pas dans l’unique objectif d’éluder le droit de préemption du locataire.